- Citation :
- Quid de la vie des nobles & de la vie des non-nobles ?
Gautier : J'ai même entendu que les petits seigneurs, en cas de disette, allaient travailler avec leurs gens. Considérer le noble comme un gros patapouf qui ne vit qu'avec du propre est peut être erroné.
Bastien : Bourgeois est un statut juridique, on peut avoir une belle fortune sans l'être, et l'être sans avoir un écu en poche, bien que ça ne doive pas être fréquent ; de même qu'on peut vivre dans le bourg sans être bourgeois, et même si c'est original, ça reste concevable de ne pas vivre dans le bourg et d'être bourgeois.
Ambre.. : Dans la roture, on a les serfs ( paysans soumis à un seigneur, travaillant pour lui, conservant seulement le minimum pour subsister ), les vilains (paysans propriétaires de leurs terres et libres de les exploiter mais devant les taxes au seigneur (dîme, cens, etc) ), la bourgeoisie à différentes échelles (petite, moyenne, grande) : ils possèdent les moyens de production (outils, machines), et emploient moins riche qu'eux pour travailler. Ils s'enrichissent en économisant & l'Eglise, mais bon ça c'est différent.
Perfidia : Mais déjà, le gueux est effectivement le vagabond. Pour désigner les paysans, on parle de "serf", et ceux-là travaillent pour le Seigneur. Ils sont sous sa protection. Ils payent des impôts, certes, mais en cas de guerre, le Seigneur a le devoir de le protéger. Les "serfs" sont différents des "vilains", malgré qu'ils soient tous deux paysans. Juste que le "vilain" n'est pas sous la protection du Seigneur, paye quand même les impôts, mais sont libres de déménager ailleurs s'ils en ont envie, contrairement aux "serfs".
Bastien : Le droit de cuissage du seigneur sur ces terres = Légende républicaine et hollywoodienne. Quant au droit de vie ou de mort du seigneur, c'est l'antiquité greco-romaine, où le chef de famille avait effectivement ce droit sur les membres de sa maison : au moyen-âge ça a été aboli, notamment par l'église. Si un noble tue quelqu'un il va avoir des ennuis avec la justice, et surtout il va avoir des ennuis avec sa conscience, parce que ce que dit l'église, au moyen-âge tout le monde y croit, hormis quelques hérésies ici ou là. […] Comme je l'ai dit, la noblesse payait ses impôts d'une autre manière, en allant prendre des risques physiques (qui étaient bien réels, la guerre qui ne fait pas de morts, c'est un mythe absolu, et même les opérations de police présentent des risques). De plus elle n'était exemptée que de certains impôts, pas de tous. Le noble riche qui vit à la sueur du front de ses paysans, c'est aussi un mythe républicain, bien que plus compréhensible vu qu'en temps de paix c'était plus ou moins le cas. Sauf que la France ne me semble pas être un pays où les temps de paix étaient si fréquents au moyen-âge.
Gabrielle : Et il me semble qu'à la fin de la période médiévale, être noble, même fauchée, c'était paraitre noble, j'ai lu plusieurs fois qu'ils avaient un mode de vie vachement ostentatoire pour épater le manant et se la péter, peu importe s'ils étaient criblés de dettes. Et que c'était justement pour bien maintenir la distinction sociale et ne surtout pas se rapprocher de la roture. On nait noble, on est éduqué noble et on se maintient avec un mode de vie rempli d'obligations et de codes.
Bastien : Oui, à part que le but n'est ni de se la péter ni d'épater le manant [...] Un mode de vie rempli d'obligations et de codes, c'est exactement ça. De même que le paysan avait aussi un mode de vie rempli d'obligations et de codes. Pas les mêmes.
Bastien : Non un noble ce n'est pas un poudré avec de bonnes manières et un langage constellé de références philosophiques ou théologiques. Il y avait des cardinaux plus vicieux qu'une bande de pirates (il y a même eu un pirate qui est devenu pape, c'est dire...), et des ducs incapables d'écrire leur nom. La réalité c'était autant ça, voire plus, que des jeunes premiers en armure polie ou en robe de bure immaculée. Et sans parler de l'hygiène, bien meilleure que celle du XVIIe siècle, mais inacceptable selon les critères du XXIe siècle. [ndlr : A mort les Louis XIV-istes !]
Kasia : Par contre, les serfs devaient parfois payer pour obtenir l'accord de se marier auprès du seigneur. [ndlr : Le Formariage, oui]
Et pour le viol comme pour le doigt de cuissage, on retrouve des condamnations de nobles ayant profité de leur situation pour commettre des abus. Enfin du moins c'est ce que j'ai pu lire par ci par là.
Bastien : Gilles de Rais était non seulement un baron mais un héros de guerre, maréchal de France protégé par le roi, et compagnon d'armes de Jeanne d'Arc. Voilà pourquoi le procès n'allait pas de soi. J'espère que son exemple rappellera aux joueurs amateurs de nobles au comportement odieux qu'ils ne s'appuient pour justifier l'impunité d'un tel personnage que sur des clichés tirés dans le meilleur des cas d'Hollywood, avec la rigueur historique qui va avec. Pour ceux qui l'ignorent, Gilles de Rais a fini sur un bûcher, il n'a pas eu une tape sur les doigts. Noble ou pas, quand on ne suit pas les règles, on le paie.
- Citation :
- Quid des relations entre les deux parties (ou trois) Oppression ? Interactions ? Réactions ?
Bastien : C'est parfaitement cohérent que des roturiers se moquent de nobles, je trouve, et aussi que des nobles méprisent les roturiers, voire les nobles de noblesse moins ancienne qu'eux.
Bastien : Sauf qu'égaux ne veut pas dire identiques et interchangeables. L'architecture sociale médiévale c'est trois ordres, et une personne est obligatoirement dans un et un seul des trois : les clercs qui prient, les nobles qui combattent, et les roturiers qui travaillent. Ils sont égaux, dans le sens où ils ont tous un rôle de la même importance dans l'accomplissement final. Bien sûr c'est de la théorie, dans la pratique il y a des nobles qui chassent (mais manger le gibier n'est pas la priorité, loin de là, c'est le sport l'intérêt primordial, et le sport est important parce qu'il faut en faire pour être prêt au combat, et donc accomplir sa tâche, on en revient toujours là). Il y a aussi des roturiers qui se battent, notamment les milices des villes, mais disons que la société médiévale, dans les grande lignes, c'est ça. Quoi qu'il en soit, dans les faits, ceux qui ont la force, ce sont les destructeurs, pas les producteurs ; et ceux qui ont le prestige sont ceux qui ont été assez forts pour s'en emparer et le conserver pendant des siècles. Autrement dit, les nobles : c'est comme ça, et ça n'a rien de contradictoire avec l'égalité décrétée par la théorie religieuse.
Alcalnn : Au XVe c'est plus compliqué que cela. Dans certaines régions la bourgeoisie et noblesse marchent main dans la main et dans d'autres elles se regardent en chien de faïence et dans d'autre les nobles dominent les bourgeois [...] Donc les bourgeois sont donc des gens cultivés, non pas lettrés, ils ne lisent pas forcement les mêmes choses que les nobles, mais ils ont une culture du droit et des affaires. Donc lire et compter. Ils ont aussi l'habitude de rédiger des actes qui participent de la vie politique.
Gabrielle : MAIS quand le péquin moyen se foutait de la gueule du Comte d'Oxford (oui, je maitrise mieux l'histoire anglaise, honte sur moi, et c'est le premier nom qui m'est venu), il allait faire un petit tour à la Tower, le contraire n'était pas réciproque.
Bastien : Je ne connais pas le comte d'Oxford mais j'imagine que ce n'est pas le premier venu, et si quelqu'un actuellement se fout de la gueule d'un dépositaire de la puissance publique en France, il va aussi faire un tour par la case ennuis.
Bastien : Pour l'anecdote, la création du concept de dérogeance repose justement sur l'égalité; Les nobles qui exercent les activités de la roture n'étant pas imposés sur ces activités sont avantagés sur leurs concurrents roturiers. Ce n'est probablement pas la seule cause, mais dans le cas de l'interdit pour les nobles d'exercer une activité bancaire ou financière, ça vient d'une plainte des marchands roturiers vis-à-vis de marchands nobles qui les chassaient de leur activité traditionnelle. […]Même en France, pays très strict, la dérogeance ne concerne que l'agriculture à but commercial, pas l'agriculture pour se nourrir. Et en Suisse, en Angleterre, en Hollande, c'est "pire". Même si je rappelle que la dérogeance en 1460, c'est trop tôt. Dans 50 ou 100 ans, ça se discute, mais déroger en 1460 c'est étrange.
Bastien : Et une égalité des droits supposerait une égalité des devoirs, et donc une abolition des ordres, autrement dit une abolition de la société médiévale. Société sur laquelle aucun de ses membres n'a d'emprise. Je ne voit même pas comment quelqu'un de sain d'esprit peut penser sérieusement que le fait qu'il souhaite quelque chose signifie que cette chose doit se réaliser.